Ci-dessous, le témoignage de Luis Badilla.
Il y a cinquante ans - le 11 septembre 1973 - vers sept heures du matin, j'ai appelé mon Archevêque, le Cardinal Raúl Silva Henríquez, que j'avais connu depuis que je suis petit, quand il était le Recteur du Collège Saint Jean Bosco, où j'étais un élève. Je voulais lui faire part de ce qui m'avait été raconté, deux heures plus tôt, par des amis résidant dans la ville de Valparaíso, le principal port du Chili, et où il avait été Évêque nommé par Jean XXIII. Bien que confuses et sans corroboration, les nouvelles étaient horribles et incroyables : la ville coincée entre les montagnes et le Pacifique était aux mains de la Marine, la première à montrer - en pleine nuit - la véritable nature des putschistes de Pinochet. On parlait déjà de personnes exécutées dans la rue ou chez elles [...] Les putschistes sont apparus ouvertement, occupant la radio et la télévision, vers 5 heures du matin.
Le P. Raúl a écouté mon rapport, nerveux et horrifié, sans dire un seul mot. Au moment des adieux, il m'a dit : « Assurez-vous de bien vous protéger, vous et votre famille. Vous savez, la nuit dernière, je n'ai pas dormi. J'ai travaillé et prié. La nuit est froide, très sombre. Il semble que le matin ne veuille pas arriver. Aujourd'hui, il n’y a pas d’étoiles, Luis. »
Allende, sa famille et le Cardinal Silva Henriquez
J'ai rencontré le Président Salvador Allende, avec lequel j'ai collaboré, et deux de ses trois filles : Isabel et Beatriz. J'ai eu la chance de rencontrer, après le coup d'État, sa veuve Hortensia Bussi, une femme gentille et douce, qui malgré son âge et sa santé fragile a parcouru le monde pour plaider la cause de la démocratie et la défense des droits de l'homme. Avec elle et Beatriz, j'ai effectué plusieurs voyages en Europe dans les années 1970 pour rencontrer des responsables gouvernementaux et favoriser l'accueil de réfugiés chiliens [...] Plus d'une fois j'ai été porteur de messages entre le Président et le Cardinal, et aujourd'hui, en regardant en arrière avec gratitude, je suis sûr d'avoir rencontré deux géants moraux oubliés trop tôt.
Dernière tentative pour sauver le Pays
En 1973, déjà au mois de mai, la situation politique chilienne se dégénérait de manière irréversible et il ne restait qu’une seule question : quand et comment arriverait le coup d’État militaire. Salvador Allende, coincé entre ceux qui voulaient une radicalisation programmatique dans un sens socialiste extrême et ceux qui préféraient une pause pour consolider les réformes réalisées (un choix considéré par certains comme « social-démocratique modéré »), a décidé de prendre l'initiative d'établir un dialogue sincère et transparent avec l'opposition, la Démocratie chrétienne. À plusieurs reprises, il a tenté un dialogue avec l'ancien Président et leader charismatique du Parti Chrétien-Démocrate dirigé formellement par le sénateur Patricio Aylwin, mais contrôlé par l'ancien Président Eduardo Frei. Ce n'était pas possible. Frei a toujours refusé toute rencontre car, comme le démontrent les événements qui ont suivi le coup d’État de 1973, il faisait déjà partie d’un complot visant à renverser Allende.
L'ancien Président Eduardo Frei a décidé
Enfin, avec la médiation du Cardinal Silva [...], une rencontre entre Allende et Aylwin fut possible. C'était le vendredi 17 août 1973. Aucune initiative n'a suivi le dialogue véritable et sincère entre les deux. Tout était paralysé. La situation politique du Pays à la veille des mille jours de gouvernement de la coalition de l’Unidad Popular était irrémédiablement compromise.
Certains témoignages affirment que dans la nuit du 10 au 11 septembre, Salvador Allende a rédigé le projet de son discours à la nation pour annoncer un référendum, assurant que s'il perdait, il présenterait immédiatement sa démission. Il n’y avait pas d’alternative, pour une sortie constitutionnelle de la crise.
La demande au Pape Paul VI
Pendant qu'il rédigeait ce projet et que le Cardinal Silva priait, les forces armées, qui complotaient depuis avril, comme Pinochet lui-même l'aurait reconnu quelques jours après le coup d'État, avaient mis en place une machine militaire pour renverser le Président Allende [...]
L'échec
Aujourd'hui, 50 ans plus tard, il faut dire que le Président Allende et le Cardinal Silva ont tout fait jusqu'au dernier moment pour éviter l'une des pires tragédies de l’Amérique Latine de 1900. Salvador Allende s'est suicidé au moment où se terminait son expérience politique, qui a échoué en raison de nombreuses erreurs politiques et programmatiques, mais aussi de l'incohérence absolue de l'alliance qui le soutenait. Parmi les gigantesques décombres de douleur, de deuil et de souffrance, le peuple chilien a immédiatement identifié son pasteur le plus connu et le plus aimé comme sa bouée de sauvetage : le P. Raúl Silva Henríquez. Mais c’est une autre histoire, celle de l’espérance qui ne reste jamais silencieuse. L'histoire d'un prêtre et évêque qui a consacré sa vie à la défense de la dignité humaine sans hésitation et sans reculer face au pouvoir.
Quelques mois après que j’ai quitté le Chili avec son aide et celle de l'archevêque de Panama, Marcos McGrath (1924 - 2000), nous nous sommes rencontrés au Vatican dans les bureaux du directeur adjoint de l'Osservatore Romano, le P. Virgilio Levi (1929 - 2002). J'ai alors demandé au P. Raúl pourquoi le Pape Paul VI n'avait pas condamné le coup d'État, même s'il était sévèrement critique. Le Cardinal a répondu : « C'est moi qui ai supplié Sa Sainteté de ne pas aborder publiquement cette question car Pinochet aurait mal réagi, augmentant la violence. C'est pourquoi j'ai beaucoup remercié le Saint-Père. Ce fut un acte d'amour douloureux envers les Chiliens. »
Ensuite, j'ai eu aussi l'occasion de rencontrer le Pape Paul VI à qui, lors d'une de ces rencontres, j'ai posé la même question. « Les évêques chiliens me l'ont demandé et je pense que cela a aidé de nombreuses personnes persécutées, » a répondu le Pontife.
L'article complet, de Luis Badilla, édité par la rédaction de « Il Sismografo, » est disponible au lien suivant .