Qui sont les personnes qui participent à ce cours ?
Le cours a été conçu spécifiquement pour l'Ukraine et le Moyen-Orient. Des catéchistes, des enseignants et des psychologues sont arrivés d'Ukraine, des œuvres salésiennes et aussi de l'Exarchat de Donetsk, parce que la moitié de leur territoire est occupée et qu'ils doivent contribuer à la guérison de ces blessures causées par la guerre. Le cours est très intéressant, car il aborde les thèmes des traumatismes que la guerre produit : des traumatismes que l'on ne voit malheureusement pas toujours lors des conflits, des blessures psychologiques qui peuvent se rouvrir même quelques années après la guerre. Parlons par exemple du deuil. C'est un sujet très utile car nous avons souvent affaire à des personnes qui ont perdu un enfant, un mari ou un parent à la guerre. On nous a expliqué ce que nous pouvons demander, de quoi parler ou non. Par exemple, une phrase qui peut traumatiser est : « Tout ira bien ». Il ne faut pas le dire, car qui sommes-nous pour dire que tout ira bien ? Et puis on nous explique aussi d'autres choses et c'est très important pour nous, car en Ukraine il y a un manque de psychologues capables de travailler avec des civils ou avec des militaires, alors que malheureusement, à l'avenir, le besoin de psychologues augmentera. Cela ne fait certainement pas de nous des psychologues, mais nous avons au moins la possibilité d'apporter une première aide de ce type aux personnes souffrant des traumatismes de la guerre.
Comment avez-vous vécu personnellement l’accompagnement de personnes qui ont subi la perte de leurs proches, au cours de ces plus de deux années de guerre à grande échelle ? Selon vous, qu’est-ce qu’il est important de retenir quand on essaye d’apporter du réconfort à quelqu’un ?
Lorsque les gens sont en deuil, ils n’écoutent souvent pas avec leurs oreilles, mais avec leur cœur. Les personnes en deuil sont souvent en colère contre le monde. C'est pour cela que c'est très difficile : les mots à utiliser dépendent de la situation, mais avant tout, la présence est importante, votre présence. Être proche aide beaucoup. Par exemple, dans les premiers jours de la guerre, quand on me demandait : « Où est ce Dieu ? Ne le voyons-nous pas ? Ici tout est détruit, il y a tellement de morts », je n'ai pas répondu, mais je suis resté avec ces gens et alors ils m'ont dit : « Maintenant nous voyons Dieu en ta présence parmi nous ».
Ici aussi, quand quelqu'un a perdu un être cher et que nous sommes proches de lui ou d’elle, nous n'avons souvent pas besoin de nous « jeter » immédiatement dans les mots, car si vous utilisez des mots, il semble que vous vouliez devenir un enseignant, quelqu'un qui donne des conseils... Mais la personne qui souffre, à ce moment-là, ne veut pas d'un enseignant, mais d'un proche, à qui elle puisse parler de la douleur qu'elle a en elle.
Quand on communique avec des personnes dans des contextes aussi difficiles, que devrait-on prendre en compte pour ne pas risquer de leur faire du mal ?
Tout d’abord, nous devons permettre aux gens de s’habituer à la nouvelle situation. On ne devrait pas essayer de parler tout de suite, demander comment vont les choses. Il n'est pas nécessaire de poser trop de questions. Mieux vaut attendre que la personne s'y habitue et commencer lentement à parler. Parce que ceux qui ont survécu à la guerre ont en eux beaucoup d’émotions. Et croyez-moi, la majorité, 90 % de ceux qui ont vécu la guerre, peu à peu racontera beaucoup de choses.
Il est très difficile de comprendre une personne qui arrive de la guerre. Par exemple, je parle de moi : je suis arrivé en Italie et quelqu'un m'a invité à faire un voyage, quelqu'un d'autre m'a dit : « Allons à Turin rendre visite à des amis », et j'ai répondu : « Désolé, je reste à Rome parce que je suis très fatigué ». Et il ne s’agit pas de fatigue physique, comme lorsqu’on veut aller dormir. C'est une fatigue psychologique, le fait qu’on ne veut aller nulle part, mais simplement se détendre, peut-être en se promenant dans Rome, en regardant les parcs et c'est tout. C'est une fatigue que personne ne peut comprendre s'il n'a pas ce drame derrière soi. La fatigue psychologique provoquée par la guerre est énorme.
Depuis le début de la guerre, vous n’avez jamais cessé de soutenir les populations des zones très proches de la ligne de front. Votre mission, vous nous avez dit en parlant, consiste à aider les gens à rester « humains » ...
Oui, j’ai fait fuir plus de 500 personnes de zones très dangereuses, là où d’autres n’allaient pas. Si 10% de ces personnes me disaient merci au moment de l'évacuation, ce serait déjà beaucoup. Mais l’important c’est qu’au bout d’un an, au bout de deux ans je reçois des messages disant : « Une fois vous nous avez sauvés. Nous nous en souvenons toujours et vous en remercions ». Et je ne sais même pas à qui appartiennent ces messages. Par exemple, je vois ces enfants que j'ai aidés à s'échapper et qui ont désormais une vie à nouveau et je me dis : « Où serait ce garçon, cette fille, cette famille si je ne les avais pas aidés ? »
Je suis heureux parce qu'on dit qu'il faut vivre pleinement sa vie - et plus encore, vivre pleinement sa vie sacerdotale - et je pense que c'est la meilleure chose que j'aurais pu faire dans la vie. Parce que la vie te donne une chance et tu te dis : cela pourrait être la plus belle chose de ton existence et donc soit je l'accepte, soit je ne l'accepte pas, soit je me jette, soit je ne me jette pas. Et quand tu t'es jeté, tu vois que tu as fait beaucoup de belles choses et en plus tu es resté en vie, car cela aussi n'est pas acquis, que tu as répondu aux demandes de ton existence et que tout cela est beau.
Beaucoup de gens m'ont dit merci et beaucoup ont dit : « Je vois Dieu à travers toi ». Alors nous continuons à aider, à travailler dans les paroisses, en aidant ceux qui sont sur la ligne de front.
Svitlana Dukhovytch
Source : Vatican News